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Journée internationale pour l’élimination de la fistule: Dr Denis Mukwege contre l’isolement social des femme à cause de ce problème

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Discours du Dr Mukwege à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale.

Lu par le Dr Christine Amisi, Secrétaire exécutive de la Fondation Panzi.

Excellences,
Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualités

Le 23 mai de chaque année, le monde célèbre la journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale. Cette journée vise essentiellement à sensibiliser la société sur ce fléau qui dans le monde frappe 2 à 3 millions de femmes, essentiellement dans les pays à faibles revenus d’Afrique Sub-saharienne, d’Asie, d’Amérique latine, des caraïbes, et j’en passe. Chaque année 50 à 100.000 femmes sont affectées.
En République Démocratique du Congo, on estime la prévalence à 42.000, et l’incidence annuelle des cas de fistules est estimée à 5.000 à 7 000 cas.
La fistule est une communication anormale entre le vagin et la vessie ou le rectum, due à un arrêt prolongé du travail en l’absence de soins obstétricaux. Le contenu de l’intestin ou de la vessie peut alors passer à travers la fistule pour déboucher dans le vagin. Elle provoque ainsi une fuite d’urines et/ou des selles par le vagin. Elle entraîne à plus long terme des problèmes médicaux chroniques.
C’est donc un des handicaps à long terme et dévastateur lié au travail prolongé, lorsque la tête du bébé est coincée contre le bassin de la mère, entraînant une blessure des tissus mous. Dans la plupart des cas, le bébé meurt et la mère se retrouve avec des fuites d’urine ou d’excréments ou des deux.
Les difficultés intervenant dans la prise en charge de cette pathologie sont à la base d’un calvaire pour la femme qui commence après l’acte d’accouchement. Alors qu’enfanter est l’un des moments le plus précieux de la femme, pour près de 2 millions d’entre elles cet acte est porteur de risques énormes notamment les fistules.
Outre les conséquences physiques, de graves stigmates sociaux l’accablent. Souvent la femme est abandonnée par son conjoint et par la famille. Elle tombe ainsi dans un isolement social inhumain.
A côté de la honte ressentie et l’opprobre de la puanteur, l’insuffisance des moyens financiers la fait sombrer la dans la pauvreté. A ce lourd fardeau s’ajoute le rejet de l’entourage motivé par les représentations populaires fortement marquées par la peur de la sorcellerie. Dans cet imaginaire, il ne saurait être question de manifester à son égard un quelconque sentiment de compassion.
La plupart des victimes des fistules obstétricales sont issues des catégories sociales les plus défavorisées car, en plus de vivre souvent en zones rurales, loin des formations sanitaires, elles n’ont pas les moyens financiers pour se faire soigner.
Pourtant, la fistule est évitable et traitable. L’accès aux soins obstétricaux préventifs et d’urgence est indispensable pour la prévenir. De même, la lutte contre la malnutrition, la réduction des grossesses précoces et la planification familiale constituent une importante stratégie pour s’assurer que la femme est physiquement apte à accoucher sans risque.
Dans le contexte des pays à ressources limitées, la fistule pourrait à juste titre être considérée comme l’un des indicateurs les plus visibles de la disparité entre les riches et les pauvres et des inégalités femme-homme. D’autant plus que l’on y observe une véritable féminisation de la pauvreté.
A l’hôpital de Panzi et à la Fondation Panzi, c’est depuis 1999 que nous prenons en charge les femmes affectées par cet handicap. Depuis 20 ans, nous avons réparé 6957 femmes à Panzi et en outreach porteuses de fistules dans 15 des 26 provinces de notre pays.
Notre action s’articule autour de trois axes :
-la sensibilisation, l’identification des malades et la formation des professionnels de la santé,
-le traitement des femmes atteintes de fistules; et leur réadaptation,
-l’autonomisation économique et la réinsertion dans leurs communautés des femmes ayant bénéficié de réparation.
Notre expérience suggère qu’il n’y pas de fatalité. Il n’ y’a pas de raison pour une femme de subir ad vitam le traumatisme de la fistule obstétricale. Il n’y a pas de raison pour une femme de vivre dans l’isolement social et l’indignité engendrés par ce problème. Il n’y a absolument aucune raison de ne pas agir lorsque le système de santé a tout simplement fait défaut à une femme, souvent à cause de sa situation économique et sociale.
Mesdames et Messieurs,
Cette année, la célébration de cette journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale tombe dans un contexte mondial difficile, dominé par les conséquences physiques, sociales et économiques liées à la pandémie du coronavirus.
La quasi-totalité des pays qui jusqu’aujourd’hui soutiennent financièrement la lutte contre les fistules et les réparations chirurgicales des femmes, connaissent ou connaitront dans les jours à venir une crise financière qui limitera sensiblement leurs capacités à subventionner cette lutte.
Malgré ce contexte international difficile, notre message d’aujourd’hui est d’appeler la communauté internationale, les pays donateurs et l’ensemble des Etats du monde à continuer à considérer l’élimination de la fistule obstétricale comme une priorité et un des indicateurs de la civilisation de notre monde.
Pour ce faire, les Etats et l’ensemble de nos sociétés devraient restés mobilisés sur :
– L’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles,
– L’élimination de la malnutrition et la pauvreté féminine,
– La lutte contre les mariages et les grossesses précoces,
– L’accroissement de l’accès aux soins obstétricaux de qualité et à la planification familiale,
– L’accroissement de l’instruction et de la scolarisation des femmes et des filles
– Le renforcement de l’autonomisation socio-économique de la femme
– La formation des professionnels de la santé et des futurs professionnels de santé sur la fistule obstétricale ;
– La sensibilisation et le renforcement de l’implication des medias, de la société civile et des communautés dans la lutte contre la fistule,
Mesdames et messieurs,
La fistule est un indicateur d’échec du système de soins de santé maternelle et infantile. Il est évident que partout où vous trouverez la fistule, vous y trouverez également des femmes qui meurent de grossesse. L’élimination de la fistule obstétricale est un défi pour nos formations sanitaires, pour nos communautés, pour nos Etats, pour notre humanité commune, car elle s’ancre dans les droits de la femme et dans le droit de chaque individu à vivre dans la dignité.
Je vous remercie.

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