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Jeunesse congolaise : Réhabiliter la vertu de la réussite par le travail

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Ce que pense Guy Emongo Lenga

En plus de 60 ans d’indépendance politique, la RD Congo a accouché de plus d’un demi-siècle de piétinement. Stationnaire, elle est indécise sur l’horizon qu’elle se propose d’atteindre. En effet, point n’est d’ailleurs besoins d’être pourvu des dons spéciaux ou d’être doté d’une érudition pour constater que le quotidien des populations se conjugue au quotidien avec la défaite, les échecs, les humiliations.  C’est un cercle vicieux infernal qui empêche le progrès. La reproduction des aberrations du passé parait susciter le scandale des paradoxes qui ont mis en cruelle évidence, derrière la ruine des structures institutionnelles et la faillite de la société, la déchéance de l’homme congolais, principalement de la jeunesse.

Evidemment, la responsabilité de ce bilan funeste qui hypothèque le rêve d’édifier un pays riche de justice, de paix, de travail, incombe en premier lieu à cette jeunesse.  Il s’agit de cette catégorie sociale retenue par la sagesse universelle comme symbole d’une relève dynamique, le moteur du progrès, le germe de la pérennité générationnelle des sociétés. L’histoire ne renseigne-t-elle pas que dans toute société éprise de succès, la jeunesse est préparée à mieux supporter le poids de l’héritage à préserver ? Or, s’il faut comme Stephane Hoffmann, ne mesurer cette dernière qu’au goût d’entreprendre et de créer, à la curiosité qu’on a pour les choses et à cet enthousiasme que permet la naïveté, les jeunes de la RD Congo sont coupables d’omission.

Que voit-on concrètement ? Les symptômes de l’échec montrent des caractères inquiétants qui travaillent à la décadence humaine. Avec l’orgueil dans la bassesse, l’aversion pour la justice, l’ambition dans l’oisiveté, la peur des défis, le goût du paraître, le déni de l’effort personnel, le culte du diplôme, etc. le décor est planté pour constater que même l’espoir n’est pas permis. Aussi, au lieu d’anticiper et d’entreprendre des travaux de son émancipation, la jeunesse congolaise se complaint de jouer au mercenaire qui se vend à vil prix.

Notons deux éléments de réflexion suivants par lesquels on croit apporter des solutions adéquates. D’abord, dans le système éducatif congolais où le but premier devrait être la mise en autonomie, la capacité pour la jeunesse de se faire soi-même, la mémoire prime. Pourtant, cette méthode prépare une créativité restreinte au génie de la reproduction et, par conséquent, elle ne peut former qu’une mentalité de répétiteur.  Ensuite, Par rapport à l’avoir, en se définissant par les termes de SCHOOYANS : « je suis ce que j’ai », la jeunesse a sans doute inconsciemment sacrifié les germes d’une réelle promotion des valeurs qui portent la qualité humaine. La trahison est bien là.

La trahison consiste à ce que Sartre appelle « un réaménagement de la servitude ». En fait, à la place d’accéder à l’intelligence critique pour amener l’éclatement de l’esprit de dépendance, la jeunesse privée de repères s’est accommodée à des principes près à l’emploi. La logique triomphante de la cueillette l’a installé dans un conformisme aliénant qui se satisfait des demi-solutions grâce à la débrouille. La débrouille qui est, selon Lomomba Emongo, le rapport de survie qu’entretient l’homme avec son monde, un monde désenchanté qu’il ne combat plus pour le changer, mais qu’il s’efforce de se rendre moins rude en évitant d’avoir à l’affronter.

Ce comportement presque à la mode au sein de la jeunesse congolaise est un véritable auto-empoisonnement. Cela signifie un siège installé dans l’à-peu-près quotidien où se cultive l’idée du bonheur dans des satisfactions et des joies révisées à la baisse. Ceux qui s’y embarquent rétrécissent ainsi l’horizon de la dignité humaine, donc ils démissionnent globalement par rapport à leur avenir. En fin de compte, toutes les énergies sont dépensées pour accéder au mode de vie qui se dénonce, et puis pour profiter au maximum de l’instant présent. L’obsession à vivre à l’abri des vicissitudes est si forte que le risque de manquer, synonyme de mort, effraie au point d’éroder toute conscience devant un crime, une déviance, un acte de déni de valeur. En clair, un homme dans cet état se constitue esclave de ses instincts bruts, un esclave ayant un rapport très spécial avec son propre esclavage. Autrement dit, l’esclave trouve lui-même des justifications à sa propre condition inhumaine. Et, s’il reconnaît encore quelque tort à quelqu’un, c’est bien à lui-même, de ne pas savoir se débrouiller « comme tout le monde ».

Pour un observateur averti, les déductions sont faciles à faire. Le défaut d’un changement de mentalité pour éduquer au jugement autonome et à l’autofondation appelle à la superstition. Il s’agit de cette attitude qui consiste à maintenir l’esprit dans une croyance vague en une puissance supérieure bienveillante susceptible de se laisser attendrir par les basses flatteries. Or, un esprit apeuré ne peut juger par soi-même, mais tente seulement d’entrer dans un obscur marchandage avec une entité inconstante. La religion devient alors le véhicule de ce commerce de dupe avec le divin.  La religion n’est pas en soi mauvaise, mais lorsqu’elle laisse les adeptes dans cet état de superstition, ou pire les y encouragent, elle pèche gravement. C’est à notre avis, un moyen astucieux d’interdire toute connaissance fondée sur un libre jugement susceptible de mettre en échec ce pacte magique avec la fameuse providence divine[1] ( « Nzambe akosala », ou bien « si ton Dieu est mort essaie le mien » ou même encore « rien n’est impossible à Dieu pour changer la vie du croyant », etc)

D’où le pessimisme que beaucoup comme nous ne cessent d’exprimer sur les conditions du destin de la RD Congo si la tendance  devrait garder le cap actuellement pris.  Dès lors que nul mieux que les jeunes eux-mêmes n’a la bonne intelligence de leurs besoins et la claire vision des solutions pour les satisfaire, l’édification d’une société riche d’espoirs doit exiger une alternative crédible.

De notre point de vue, imaginer des perspectives heureuses pour un pays à l’agonie suppose pour la jeunesse qu’elle accepte de naviguer à contre-courant des idées reçues, notamment en prenant l’engagement de :

  • Vaincre la peur d’oser affronter les tabous imposés par une société complètement pervertie, et, qui plus, n’a pas de référentiels qui incitent à l’excellence. Ceci évitera aux conformistes d’établir des comparaisons idiotes avec les réalités d’autres pays qui ne sont pas dans notre cas.
  • Se décoloniser de la mentalité de tutelle et ses corollaires. Par exemple, l’extravagance cache une énorme conscience du complexé qui demeure un obstacle à l’émancipation totale, tout autant que de suivre des modèles qui portent la marque de la déficience des hommes qui les incarnent.
  • Réhabiliter la vertu de la réussite par le travail. L’imposture disparaitra avec sa cohorte des pratiques (le clientélisme, l’intolérance, l’incompétence) ; car la bonne reproduction des mêmes méthodes ayant déjà aboutis à des résultats calamiteux va conduire à une remise en question de la jeunesse dans sa manière de se regarder.

Que retenir de tout ce qui précède ? En gros, une jeunesse minée par des insuffisances aussi criantes, doit se réveiller de sa léthargie de croire qu’un miracle de développement serait possible sans son implication personnelle. Les débats de société dans les médias laissent transparaître plutôt le contraire de cette tendance qui incite à marcher sur des sentiers battus. La théorie d’un Dieu qui pourvoit à tout, prêchée dans les églises[1], est une grosse escroquerie qui cultive la tolérance vis-à-vis des antivaleurs.

En un mot, la jeunesse doit quitter le champ de l’immobilisme intellectuel, et devenir l’« expression de la vérité d’être homme », sujet de son histoire. Une fois ce pas franchi, elle peut commencer les travaux de sa libération ; elle sera alors apte à découvrir la vérité de ses aptitudes, de ses ambitions, mais aussi de ses limites face aux obstacles à surmonter. Petit à petit, une génération rationnelle renaîtra des cendres des masses inertes qui, en ce moment du savoir virtuel, à son bonheur suffisent des miettes qu’elle ne discute pas.    

Qui est Guy Emongo ?

Guy EMONGO LENGA est né à Tete-Ngomba (Katako-Kombe) en République Démocratique du Congo (ex Zaïre). Licencié en Relations Internationales de l’Université de Lubumbashi (1985) et détenteur du diplôme d’Etudes Supérieures en Relations internationales de l’Université Libre de Kinshasa (2012), il a enseigné l’histoire politique du Congo et l’éducation à la citoyenneté à l’Institut Pédagogique de Katako-Kombe (1985). Actuellement, il est Chef de Travaux à l’Université de Lodja (République Démocratique du Congo) et membre du Comité de rédaction du « PARADIGME », Revue Sankuroise d’Etudes Politiques et Sociales depuis 2003.


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