
Quelques heures après la clôture des travaux du 10ème congrès de l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC), principale instance d’autorégulation des médias en République démocratique du Congo, le 19 septembre 2024, le gouverneur de la ville de Kinshasa, Daniel Bumba, a décidé d’envoyer trois journalistes en prison. Il a déposé par l’intermédiaire de ses avocats, une plainte en charge des journalistes Patrick Lokala, Yves Buya et Siméon Isako. Leur pêché: avoir, dans le cadre leur profession, mené une enquête journalistique sur la paie du mois de juillet dernier des membres du gouvernement sortant.
On le sait, le gouverneur de la ville de Kinshasa est, au propre comme au figuré, fatigué par son poids. A la tête d’une ville à la dimension d’un pays et aux défis énormes, il est très attendu surtout dans la lutte contre l’insalubrité. Pour atteindre l’objectif “zéro déchet” dans toutes les communes qu’il s’est fixé, il se doit d’instaurer une gestion financière orthodoxe.
Quoi de plus normal que la presse braque les projecteurs sur lui pour savoir si l’Hôtel de ville de Kinshasa est ou non entre des bonnes mains? C’est justement dans ce cadre que les journalistes Patrick Lokala, Yves Buya et Siméon Isako ont entrepris d’enquêter sur ses premiers actes de gestion. Et visiblement, les confrères ont trouvé de cadavres dans le placard de Daniel Bumba. C’est du moins ce qu’ils ont laissé entendre dans leurs publications.
« RDC! Urgent! Kinshasa: le gouverneur Daniel Bumba éclaboussé par un nouveau scandale de détournement. Le chef de l’exécutif provincial a fait décaisser plus de 860.000 USD soit plus de 2 milliards et 528 millions FC au motif de payer les membres du Gouvernement provincial sortant et cabinets politiques pour les mois de juillet. Les bénéficiaires n’ont jamais touché à leur dû jusqu’à ce jour. Certains de ses ministres sont sans bureaux de travail, d’autres occupent des bureaux privés. Indignés, ces derniers ne savent comment exprimer leurs frustrations », ont-ils écrit.
Une plainte à la place d’un droit de réponse
Plutôt que de démentir ces écrits par un droit de réponse s’il estime qu’ils contiennent de faussetés, comme l’exige la loi, Daniel Bumba a choisi de museler la presse kinoise.
En effet, ses avocats ont déposé une plainte pour « imputations dommageables» à charge des journalistes Patrick Lokala, Yves Buya et Siméon Isako auprès du procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe.
« En déclarant publiquement et méchamment par écrits…que Monsieur Bumba Lubaki Daniel, gouverneur de Kinshasa, a détourné les indemnités de sortie des membres du gouvernement provincial sortant et celles de leurs cabinets politiques, faits du reste mensongers, les auteurs des comptes X susdits ont porté atteinte à la probité, la valeur morale, la considération, la réputation de notre client et l’ont exposé au mépris du public», ont écrit maître Christian Mbo et maître Freddy Basomba.
Ce, après avoir évoqué la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006.
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Curieusement, ces deux avocats que l’on présume compétents, ont ignoré de mentionner dans leur plainte, l’Ordonnance Loi N°23/009 du 13 mars 2023, fixant les modalités de l’exercice de la Liberté de la Presse, d’information d’émission par la Radio et la Télévision, la Presse Ecrite ou tout autre moyen de communication en R.D.Congo.
Sans doute, s’ils avaient pris le temps de lire cette Ordonnance-Loi promulguée par le président de la République, Félix-Antoine TSHISEKEDI, en remplacement à la Loi n°96/002 du 22 juin 1996 considérée comme obsolète et très répressive de la liberté de la Presse, ils allaient conseiller à leur client de ne pas saisir la justice sur ce coup.
En effet, se fondant sur les recommandations des travaux des états généraux de la presse, la Loi N°23/009 du 13 mars 2023 dite « Loi Muyaya » oblige la personne lésée par un article de la presse de prouver le préjudice subi.
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Aux termes de cette Loi sur la presse, « la publication du droit de réponse ou de rectification constitue réparation à l’égard de la personne lésée. En cas de refus de publication du droit de réponse, la personne lésée a le droit de saisir les instances judiciaires pour réparation ».
Daniel Bumba, un despote ?
Question: quand et où Daniel Bumba aurait-il adressé aux trois chevaliers de la plume et du micro un droit de réponse à leurs supposées fausses informations et qu’ils auraient refusé de publier? Seul le gouverneur de Kinshasa saura répondra à cette question. Mais ce qui est vrai, le locataire de l’exécutif provincial de Kinshasa a été mal conseillé. Mieux, il a été induit en erreur. Et dire que parmi ses proches collaborateurs il y a un grand journaliste célèbre et respectable laisse à penser que le gouverneur de Kinshasa n’ écouterait pas les conseils de ses collaborateurs.
L’autre hypothèse, et c’est la plus plausible, c’est qu’en cherchant à envoyer en prison de journalistes pour avoir décrié sa gestion, du reste questionnable, le chef de l’exécutif provincial de Kinshasa se fait passer pour un despote et un tortionnaire de la presse. Inadmissible dans la capitale d’un État qui se veut démocratique et surtout dans un pays dont le chef de l’État a toujours défendu la liberté d’expression, socle d’un État de droit qu’il prône.
Jean Pérou Kabouira
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