Bonjour. Nous sommes le vendredi 29 octobre et vous écoutez le 37e numéro de Po na GEC, la capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York, qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, le coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, et cette semaine, nous nous intéressons à l’état de siège.
Cela fait bientôt six mois que cette mesure a été mise en place par le président de la République. Et jusque-là, les chiffres ne montrent aucun bilan positif. Non seulement les tueries de civils se sont poursuivies. Mais elles se sont poursuivies au même rythme qu’avant l’état de siège.
En réalité, les effets de cette mesure n’ont pas été ceux qui étaient attendus. Des militaires et policiers ont pris possession des administrations civiles dans les provinces, territoires, et villes du Nord-Kivu et de l’Ituri. Ils ont été largement accaparés par cette charges. Et très peu de moyens supplémentaires leur ont été fournis. Conséquence paradoxale : à l’exception notable du territoire de Djugu, en Ituri, l’activité de l’armée congolaise sur le terrain a en réalité diminué depuis l’instauration de l’état de siège.
Le rapport de la Commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale, qui a auditionné les ministres concernés au mois d’août, dresse un état des lieux accablant : « la proclamation de l’état de siège n’a pas été sous-tendue par une planification d’actions stratégiques de l’état de siège. Elle l’a été sans un montage financier conséquent et cohérent, sans définition d’objectifs militaires et sans un chronogramme d’actions stratégiques, opérationnelles et tactiques ».
Sur le terrain, l’opinion semble de plus en plus sceptique. Lors du dernier sondage du Groupe d’étude sur le Congo et de la Fondation Berci, réalisée en septembre, 66% des personnes interrogées dans les provinces du Kivu et de l’Ituri estimaient que la situation sécuritaire s’était dégradée depuis l’investiture du gouvernement actuel, au mois d’avril. Malgré cela, le président Tshisekedi ne montre aucun signe de remettre en cause sa décision. Lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New-York, le 21 septembre, il a même dit qu’il la lèverait lorsque « les circonstances qui l’ont motivé disparaîtront ».
Ce discours est très différent de celui de l’instauration de l’état de siège, qui prévoyait une période courte, d’un mois à l’origine. Ce changement pourrait inscrire le pays dans un piège : celui d’une mesure inefficace, mais malgré tout maintenue indéfiniment . Alors, pourquoi le président tient-il tant à cette mesure ? Il y a d’abord une question de crédit politique : revenir en arrière, alors que les tueries se poursuivent manifestement, serait un aveu d’échec difficile à assumer devant l’opinion. Ensuite, en dépit d’une défiance croissante dans l’Est, la mesure demeure très populaire au plan national : 63% des Congolais interrogé s lors du sondage de septembre jugeaient que c’était une bonne chose. D’un point de vue strictement politicien, cette mesure présente des avantages : elle donne l’impression d’une action sur le problème, quand bien même aucun effort réel ne serait consenti.
De manière plus pernicieuse, les militaires qui ont obtenu, grâce à cette mesure, des postes et l’accès à des ressources, n’ont pas d’intérêt personnel à ce qu’elle prenne fin. On peut imaginer qu’ils ne fassent remonter que les informations qui les arrangent, dissimulent leurs pertes, pourtant nombreuses, et communiquent constamment sur des progrès, sans jamais atteindre une paix véritable. Une manière de sortir de ce cycle inquiétant serait que le parlement joue pleinement son rôle de contrôle de l’exécutif, évalue objectivement cette mesure, et, s’il l’estime nécessaire, s’oppose à sa reconduction ou la conditionne à des réformes.
Le rapport de la Commission défense et sécurité, dont des extraits sont parus dans Jeune Afrique, pourrait être une étape importante s’il permettait l’ouverture d’un débat démocratique sur l’état de siège.
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