Georges Lohalo, est doctorant en Relations Internationales à l’Université Normale du Centre de la Chine (华中师范大学). Il étudie le système international post-guerre froide, les relations sino-américaines et la coopération Chine-Afrique. Il a un diplôme de Maitrise en Relations Internationales de l’Université des Affaires Etrangères de Chine (外交学院), une licence en Politique Internationale de l’Université de Kinshasa et est auteur de plusieurs œuvres d’esprit. georgeslohalo@gmail.com
Pourquoi la crise de COVID-19 pourrait-elle changer l’ordre géopolitique mondial ?
La crise sanitaire causée par la pandémie du Covid-19 n’en est sans doute qu’a ses débuts. Elle commence à peine à atteindre les pays en système sanitaire précaire et où règne la misère la plus noire de la planète terre. On n’est pas encore totalement certains des conséquences économiques, conjoncturelles et structurelles. Il serait problématique d’avancer avec exactitude les effets de changements que cela pourrait causer sur la géopolitique mondiale. Prudence de mise, ce texte voudrait revenir sur l’affirmation selon laquelle le Covid-19 à lui seul pourrait changer de facto les rapports des forces dans le système international post-guerre froide.
Du point de vue de l’analyse du système international de ces 5 derniers siècles et a la lumière des données disponibles, il serait hasardeux d’affirmer une telle possibilité. Du moins, il convient d’indiquer que cette crise sanitaire pourrait accélérer la transition de puissance, de l’occident en orient, tendance que la quasi-totalité des chercheurs en Relations Internationales observent dès le début du 21e siècle.
Quoiqu’il en soit, la pandémie révèle trois caractéristiques (qui sont en même temps des changements que confirmerait la pandémie) du système international entre autre : la crise de modèle de gouvernance globale, le déclin de l’occident en tant qu’ensemble homogène et la possible affirmation de la puissance chinoise. C’est clair, il y a des effets Micro et Meta géopolitique mais pour des raisons pratique et méthodique, le texte se limitera à ces 3 caractéristiques ci-dessus.
Parce que le monde est en crise de modèle de la gouvernance globale : sanitaire y comprise !
Sur le plan international, la pandémie du Covid-19 apparait d’abord comme une crise de la capacité d’anticipation de la communauté mondiale malgré les alertes de tous bords. C’est un échec cuisant de la gouvernance globale qui se dévoile en plein 21e siècle malgré l’expertise dans le monde. Peut-être c’est le moment de s’interroger sur la pratique en la matière jusqu’ici. En général, les institutions internationales et les grandes puissances se chargent des menaces non traditionnelles en première ligne. On ne saurait dire à cet effet qu’elles n’ont pas vu venir une situation d’une telle dangerosité quand on sait que ces pays ont des systèmes sanitaires et l’expertise avérés mais aussi l’expérience récente de résurgence des maladies infectieuses comme Ebola. Cependant, des idées ont été avancées ça et là pour saisir l’imbroglio : tandis que les uns parlent de la défaillance du système démocratique de gouvernance occidentale qui accorde aux groupes privés (pharmaceutiques en l’occurrence) la possibilité (de par leur porosité) de récupérer l’action étatique à leur guise (Political decay) rendant ainsi le gouvernement (de ces prétendus grandes démocraties) quasi-obsolète ; d’autres attirent l’attention sur le fait que les institutions internationales sont en dévitalisation à cause de la compétition stratégique des grandes puissances (Chine-USA et à faible mesure la Russie) qui réduirait la solidarité internationale. A tous les cas, les deux dimensions réunies expliquent bien cette crise de gouvernance globale que révèle le Covid-19 car l’OMS elle-même ne joue pas le rôle central qui lui revient. Pour le moment de l’avis des experts, le débat sur l’idéologie globale de la gouvernance mondiale est relancé.
Parce que l’Occident est en déclin depuis 1980 !
Il sied de rappeler que l’occident comme ensemble homogène de participation dans les affaires du monde a dirigé le monde depuis 5 siècles maintenant. Cela voudrait dire que toutes les grandes puissances qui ont influencé au premier plan le système international depuis cette période proviennent de l’Europe ou de l’Amérique. A la fin de la 2ème guerre mondiale, les USA sont sortis le leader occidental car à elle seule l’Amérique, aujourd’hui de Trump, comptait 50% de la richesse du monde. Elle a participé à la reconstruction européenne et ensemble ils ont continué de participer de façon très homogène dans domination du monde. La production américaine qui a sensiblement augmenté dans les années 1970 s’est dramatiquement déclinés ces 30 dernières années (représentant -20% de celle du monde en 2019) occasionnant des délocalisations des grandes entreprises vers les marchés émergents (on comprend aujourd’hui pourquoi la France ou USA par exemple ne peuvent pas produire conséquemment des masques et dépendent de la Chine). Le déclin relatif des USA a provoqué celui des Européens de façon spectaculaire. A cela il faut voir les contours de la crise économique et financière de 2008 qui non seulement met à nu les insuffisances de leurs économies mais aussi révèle d’autres pôles économiques dans le monde. L’Asie du Sud-Est, avec la Chine en tête, se présente comme plus grand double marché (production-consommation) du 21e siècle. Est-il important de noter aussi que beaucoup d’économies des pays de l’Asie orientale ont déjà dépassé celles des pays occidentaux et la tendance va s’accélérer d’ici 15 ans. C’est avec ces lunettes qu’il convient de lire le changement que masquerait la crise sanitaire autour de cette pandémie.
Parce que la Chine s’impose comme acteur incontournable sur la scène internationale
Il n’y a aucun doute Covid-19 a débuté en Chine. Personnellement j’étais encore à Wuhan (ville de découverte de la maladie) quand une amie Bosniaque m’a fait part (fin décembre 2019) de la naissance d’un virus contagieux et mortel dans notre ville de résidence. Après un léger moment de tâtonnement, parce qu’il faut le dire. aucun gouvernement n’était préparé face à ce virus, la Chine a pris les choses en mains, confinant d’abord la province de Hubei (près de 60 millions d’habitants) depuis le 23 janvier 2020 jusqu’en ce moment; mais aussi en élargissant des mesures de quarantaine dans toutes les provinces de l’empire du milieu pour lutter efficacement contre la maladie devenue pandémie. Et ces mesures drastiques ont porté les fruits en ceci qu’à l’heure actuelle, le Pays de Xi Jinping sort progressivement du grand danger et commence à produire. Il fallait, pour y parvenir, compter sur l’obéissance légendaire du peuple chinois et le leadership politique sans conteste.
Ce qu’il faut retenir à ce niveau est que le modèle d’abord de gouvernance chinois pourrait s’imposer sur l’échiquier mondial et on peut déjà le voir, tout le monde parle de la Chine face à la gestion de cette pandémie. L’OMS elle-même s’est saisie du dossier partant de l’expérience chinoise en la matière. Dans cette hypothèse, de l’avis de Michel Duclos, Covid-19 pourrait constituer un accélérateur pour la confirmation de la puissance chinoise, ce qui respecterait la tendance des dernières années. La Chine va donc s’imposer comme modèle de gestion des enjeux globaux (changement climatique, pandémie, développement etc.) parce que déjà, preuve à l’appui, les occidentaux surmontent difficilement la crise, USA y compris. Aussi il faut indiquer que la Chine est depuis 2014 première puissance économique, en termes de pouvoir de parité, du monde et pourrait, avec la reprise de la production, se confirmer leader mondial dans le secteur mais aussi dans le domaine technologique (5G).
En effet la Chine a non seulement la capacité de s’imposer mais elle y met la volonté pour ce faire. A ceci, il faut voir la forte communication mise en place pour publier avec détails toutes les actions chinoises à l’international surtout en ce moment où elle a déjà assistée plus de 100 pays (USA y compris) dans le monde avec des matériels de lutte contre la pandémie Covid-19. Le domaine commercial pourrait aussi confirmer l’ascension de l’empire du milieu car déjà, la Chine est l’usine du monde avec la production de plus de 55% des écrans plasmas, 77% des Smartphones dans l’échiquier mondial. Il faut ajouter que tous les constructeurs automobiles, fabricants des ordinateurs etc du monde dépendent des inputs chinois pour démarrer leurs produits. Avec l’arrêt ailleurs et la reprise chez elle, la tendance pourrait sensiblement augmenter.
Le changement va-t-il s’effectuer dans la paix ? C’est la question en rapport avec le piège de Thucydide et nous pourrions revenir. Toutefois, Ne jamais sous-estimer la folie humaine.
Pour les leaders d’opinions et ceux en charge de la politique étrangère ou de la diplomatie : Il faut connaitre pour anticiper, comprendre pour agir, agir pour avancer.